Rencontre anodine ?

Absinthe avait fait un long trajet. Il avait chevauché un dragon après bien des péripéties, il avait eu mal aux fesses à cause de la dureté des écailles de ce bidule, il était épuisé. Et il n'y avait rien dans cette fichue ville de Kilmar ! Rien, de rien, de rien. En plus, il avait appris que la seule personne susceptible de l'aider dans les parages, la gardienne du temple s'était faite la malle. Il n'arrêtait pas de pester intérieurement. A quoi ça sert d'être un espion hors pair pour en arriver là ? Rien. Strictement rien. Son pied frappa rageusement dans un tonneau. Il explosa sous le choc. Ça aussi ça ne sert à rien. Mais ça soulage les nerfs. Il en fallait beaucoup pour énervé Absinthe, mais là, c'était de la frustration pure et simple.

Et contre la frustration, qu'une seule solution ! L'alcool ! Quoi vous pensiez qu'un espion d'élite ne se bourre jamais la gueule ? Et bien vous vous trompiez ! L'herboriste rentra dans la première taverne. Il s'assit à une table et interpella le serveur.

"Votre alcool le plus fort."
"Et, rigole pas avec ça mon p'tit gringalet ! Tu resterais mort après le premier verre !"
"Je vous ai demandé votre alcool le plus fort, je sais ce que je demande non ?"

Le verre arriva. Il le but d'une traite. Pff, il était nul cet alcool. Il en commanda une bouteille entière et quitta le bar la bouteille à la main sous les regards incrédule. Il était sans aucun doute prit pour un fou. Une fois dehors, il ajouta quelques herbes dans la bouteille, le mélange "miraculeux" comme il disait, juste de quoi faire oublier les soucis pendant une heure. Précisons que sur n'importe qui d'autre, ce mélange provoquerait une mort immédiate. Il déambula dans la ville, titubant légèrement. Ah ce qu'il était bien. C'est tellement mieux de na pas avoir à se soucier de quoi que ce soit ! Tellement agréable !

Mais tout à une fin. Le mélange s'estompa avant même une heure. L'accoutumance tue le plaisir. Il s'arrêta de marcher. Le pire c'était qu'il savait où il était. Il prit la rue à droite, puis celle à gauche et tomba sur la place principale. Il s'approcha des tableaux destinés aux chasseurs de prime. Ses yeux parcoururent les noms. Oh notre charmante gardienne ! Quelle somme ! Si sa loyauté envers la reine n'était pas si poussée, il aurait sans doute retourné sa veste pour une telle somme. Cependant ce n'est pas un acte digne d'un Elspeth.

Il se retourna et… Oh ! Percuta quelqu'un. Il tomba, les fesses par terre. Maladroit ? Mais nan, je vous ai dit que sa mixture n'avait plus d'effet sur lui. E oui, il l'a fait exprès. Quelqu'un qui sent le lapinou, ça ne peut être que… Que ? Roh, faut tout vous dire ! Samaël, le bras droit de Kyj ! Comment Absinthe le savait ? Oh, les petits potins de ci, de là. L'herboriste releva la tête, l'air déboussolé.

"Je suis désolé, je ne vous avez pas vu monsieur… "

Pourtant ne pas voir un type de deux mètres… Ouais, ben, il passait pour un con ce cher espion. Il se releva, d'un bond.

"Vous venez pour les annonces ? Vous êtes chasseurs de prime aussi ?" demanda-t-il avec un air d'imbécile.

La ville de Kilmar semblait receler bon nombres de secrets, comme la plupart des villes. Mais la cité du désert avait la particularité d'avoir l'un des secret les plus importants de Zezma : l'identité et l'emplacement du Gardien du Temple. Mystérieux gardien, inconnu autant pour ses alliés que pour ses ennemis. Celui qui a la moindre information sur cette personne peut se vanter d'être incroyablement chanceux. Mais malheureusement, les gens ayant éventuellement des informations ne le disent pas, et c'est ce qui embête le plus Samaël. Cela faisait un moment qu'il était à Kilmar, et il n'avait toujours pas avancé d'un millimètre dans sa mission.

Il repensa à l'ordre de son Roi. Retrouver le Gardien du Temple à tout prix. De bien belles paroles, mais si ça continuait dans ce sens, le Syney allait finir par croire que cette personne n'existait tout bonnement pas. Samaël poussa un soupir, tandis qu'il longeait la place de la ville. Comment retrouver quelqu'un qui semble fait de sable, capable de se fondre dans la population et de disparaître sans qu'on le reconnaisse ? Il l'ignorait. Mais il était déterminé à résoudre cette énigme vivante. Car mettre la main sur le gardien ouvrirait de nouvelles voies. Les secrets détenus par une telle personne étaient sans doute inestimables, tellement importants qu'ils n'avaient pas de prix.

Et pourtant, malgré cela, la tête du Gardien en avait un, de prix. Enfin, la tête... la prime exigeait que le gardien soit en vie une fois capturé. Puisque ses pensées étaient tournées vers les primes, il changea de direction pour se diriger vers le tableau des annonces. Bien qu'il n'y croyait pas spécialement, peut-être une nouvelle donnée dont il n'avait pas eu connaissance avait été ajoutée sur la fiche du Gardien. Cela ne coûtait rien d'essayer, et il avait dans l'idée qu'il n'apprendrait rien de nouveau pour aujourd'hui.

A son passage, la plupart des gens s'écartaient. Depuis le temps qu'il était dans cette ville, on le connaissait, bien que les rumeurs à son sujet soient présentes depuis bien plus longtemps que lui. Mais à vrai dire, il se fichait totalement de ça. Qu'importe ce qu'on pouvait dire sur lui, tant que personne ne venait lui chercher querelle, il ne démentait ni n'affirmait ces rumeurs. A quoi cela pouvait bien servir...

Finalement, il arriva devant le fameux tableau. Ses pâles yeux cherchèrent l'annonce faîte au sujet du gardien du temple, mais naturellement, rien n'avait été ajouté. Samaël poussa de nouveau un soupir, presque dépité, tout en portant une de ses mains à ses tempes. La chaleur étouffante commençait à lui monter à la tête, et se triturer les méninges pour une vaine recherche n'était pas recommandée. Il commençait à se dire qu'il avait épuisé les ressources de cette ville et qu'il allait devoir passer à une autre... N'importe laquelle.

Ces réflexions furent interrompues par quelqu'un, qui le percuta. Et si cette personne tomba à la renverse, Samaël, lui, déplaça seulement l'une de ses pattes pour conserver son équilibre. Le Syney porta son regard sur le maladroit. Un simple humain... mais un humain un peu spécial vu son accoutrement. Loin de faire un geste pour l'aider, il se contenta de l'écouter lorsqu'il s'excusa. Mais par politesse, car ce n'était pas un rustre comme on pouvait le dire parfois, il répondit, d'une voix détachée toutefois.

- Ce n'est pas grave, assura-t-il. Cela arrive à tout le monde d'être distrait un moment.

Le bras droit du Roi s'apprêtait à repartir, pensant la conversation finie, mais le jeune homme se releva rapidement et lui posa deux questions, qui ne manquèrent pas d'amuser un peu le Syney, bien qu'il ne le montra pas. Avec l'air de crétin fini qu'affichait l'humain, Samaël hésita, pour le qualifier, entre bon comédien et allumé. Peut-être les deux...

- Oui, je venais pour les annonces. Quant à savoir si je suis un chasseur de primes... si l'on veut, répondit Samaël avec un rictus presque énigmatique.

Effectivement, on ne pouvait pas vraiment dire qu'il était chasseur de primes puisque ce n'était pas son activité principale. Le Roi lui avait seulement ordonné d'aller trouver ce foutu gardien. Bien évidemment, il aurait eu une récompense, mais c'était le dernier de ces soucis. Il considéra un instant l'homme en face de lui, réfléchissant à sa question. Vu comment elle était posée, on pourrait croire que cet humain était chasseur... Bon, il ne perdrait rien à vérifier, et si c'était bien le cas, peut-être pourrait-il le renseigner. Car les chasseurs de primes venant à Kilmar ne cherchaient pas trente-six personnes...

- Dîtes-moi, et vous, êtes-vous chasseurs de primes ?

Finalement le bras droit de Kyj n'était pas si impressionnant que ça… Les oreilles de lapin, ça enlève vite l'apparence terrifiante de quelqu'un. Enfin, pour trouver le lapinou peu effrayant, il faut aussi être bien allumé. Vous savez donc qu'Absinthe trouvait ce type plus drôle qu'effrayant. Oui, il faut bien avoir des pulsions suicidaires des fois. Bon c'est plus problématique quand c'est tout le temps, n'est-ce pas Absinthe ? Mais passons, là n'est pas le problème.

Il écouta les réponses du Syney avec attention. Il n'avait pas l'air spécialement agressif comme le laissait croire les rumeurs. Non, il avait l'air d'un calme effarant. Les yeux d'Absinthe ne manquait pas un seul de ses mouvements du clignement d'œil aux mouvements de ses lèvres; Cet homme, enfin ce semi homme, avait un très grand potentiel, c'était certain, mais Absinthe ne doutait pas non plus qu'il puisse devenir sur le moment quelqu'un de très utile. Et oui, l'affiche, ils avaient regardé la même. Or, si le bras droit de Kyj n'a pas d'information, personne ne peut en avoir plus. Sauf qui ? Et oui notre cher Absinthe qui savait qu'au moins la gardienne avait quitté Kilmar, mais aussi le désert et que maintenant elle était loin, loin d'eux.

Absinthe cacha son sourire en l'entendant dire qu'il était plus ou moins chasseur. La blague ! Il était pas chasseur du tout ! Un lapin chasseur, laissez moi rire ! Nan, c'était un lapin tueur, pas chasseur. Ce serait trop paradoxal un lapin avec un arc. Finalement, les effets de la drogue n'était peut-être pas tous partis pour qu'il divague ainsi sur un des types les plus puissant de cette charmante petite terre.

"Alors je dirai que vous êtes chasseur !"dit-il avec son air béat d'imbécile en réponse à l'énigmatique déclaration du lapin garou.

Qu'il est amusant de voir que l'un des plus intelligent allié de la reine paraisse aussi stupide devant le bras droit du roi. Haha, que de comique. Bientôt on le prendrait pour un déficient mental en le croisant dans la rue ! Au moins, il ne risquait pas d'être démasqué comme ça. Enfin en l'occurrence, il suffisait qu'on le prenne pour un de ces rats de chasseurs de prime qui n'étaient pas foutu de choisir un clan et que seul l'argent obsède. Pas vraiment son cas au départ.

"Et bien, on peut aussi dire que je suis plus ou moins un chasseur de prime… Plus déprimé que de prime vu la malchance que j'ai… "déclara-t-il avec un sourire amusé.

Il se retourna et pointa du doigt l'affiche concernant la gardienne.

"A peine j'arrive ici, que la demoiselle recherchée s'en va loin, loin de moi ! Il faudrait instaurer des limites à la malchance… Enfin, les rumeurs disent qu'elle serait partie définitivement du désert. "

Il se retourna et prit un air légèrement plus sérieux.

"C'est elle aussi que vous cherchez je me trompe ?" demanda-t-il, ses yeux orangés ne ressemblant plus du tout à ceux d'un abruti.

Il passa une main dans ses cheveux, sans lâcher le regard du Syney. Provocation ? Insolence ? Sans doute les deux. Après tout, il n'avait pas peur du bras droit de Kyj. Pas même de Kyj, ni de la Mort. Ils pouvaient bien tous lui tomber dessus qu'il s'en foutrait comme de sa première culotte, quoique nan, la première culotte est plus importante que ces gugusses !

Puis son visage en une fraction de seconde reprit son air d'imbécile heureux, et il reprit de sa voix chaleureuse.

"Oh j'en oubliai de me présenter ! Absinthe De La Meryan, chasseur de prime comme vous le savez et médecin. Et je vous confie qu'on gagne mieux sa vie en tant que médecin ! Et vous ?"

Un petit plaisantin. Il devait ressembler à ça. Ah comme les apparences sont trompeuses des fois….

Plus le temps passait, et plus Samaël se demandait si cela tournait rond dans la tête de cet homme. Non pas que ses faits et gestes étaient totalement à côté de la plaque, mais son air stupide avait presque quelque chose d’étrange quand on savait qui était en face de lui. En effet, tout le monde s’accordait à dire que Samaël était un Syney qu’il valait mieux ne pas approcher si l’on tenait à la vie. Habitué à être évité sauf par Kyj lui-même, il était, au fond de lui, assez étonné de voir qu’un jeune homme restait si serein (ou plutôt idiot) face à lui. Peut-être ignorait-il l’identité de son vis-à-vis ? C’était possible, mais quelque chose, comme une étrange odeur, laissait croire le contraire à Samaël… Bah, qu’importe. Si il devait découvrir des informations sur cet énergumène, ce sera en temps et en heure.

Lorsque l’humain déclara qu’il prendrait Samaël pour un chasseur, celui-ci haussa les épaules. Si ça pouvait lui faire plaisir, tant mieux pour lui. Le Syney s’en fichait totalement de ce que son interlocuteur pouvait bien penser de son… métier ? Si on pouvait dire qu’être chasseur de prime était un véritable métier.

Par contre, le jeune homme réussit à accomplir un certain exploit : celui d’arracher un sourire clairement amusé à Samaël. D’ordinaire inexpressif, presque froid, le Syney ne montrait que très rarement ses émotions. Et pourtant, le jeu de mot que fit son vis-à-vis à propos des primes ne manqua pas de le faire sourire franchement. Ce n’était pas un sourire moqueur, loin de là. Les lèvres de Samaël s’étiraient par un réel amusement. Mais passons, puisque celui-ci s’effaça tout aussi rapidement qu’il était apparu.

Le sérieux de Samaël se renforça comme jamais lorsque son interlocuteur montra du doigt l’annonce faîte au sujet du gardien du temple… qui s’avéra être une gardienne. S’il ne savait pas rester de marbre devant les situations, sans doute aurait-il fait un bond de joie ou aurait pressé son interlocuteur de questions. Enfin une information concrète ! Mais Samaël se contenta d’écouter le jeune homme, le regardant fixement, car peut-être racontait-il n’importe quoi.

Mais lorsque le comique de service laissa place à un homme sérieux, Samaël sut qu’il tenait là le bon filon… Cet homme était loin d’être aussi stupide qu’il le laissait croire, le Syney en était désormais persuadé. Quelle ironie. Des jours entiers de recherches, et c’est totalement par hasard ( ?) qu’il découvrait la meilleure piste depuis le début de sa mission. Non seulement la personne recherchée était une femme, mais en plus elle avait quitté le désert. Intéressant…

Samaël croisa les bras suite à la question du jeune homme, et ses mots résonnèrent un instant dans son crâne. Si c’était elle qu’il cherchait… Il se contenta d’hocher la tête d’un air grave, mais pourtant ravi. Ils s’observèrent pendant un instant, presque en chiens de faïences, même si Samaël soit trèèès loin d’être hostile envers son interlocuteur. Bien qu’affichant une certaine insolence, le Syney appréciait déjà d’une certaine façon celui d’en face. Lorsqu’il reprit son air d’ahuri, cela renforça l’impression du bras droit de Kyj. Ce type là était bon, voire même très bon pour mentir…

Finalement, réparant son oublie, il se présenta. Absinthe De La Meryan, chasseur de primes et médecin. Des qualifications appréciables, bien que chasseur de primes ne soient pas vraiment une activité reconnue pour sa noblesse. Maintenant, restait à savoir si tout était faux, ou si seulement une partie avait été modifiée. Le Syney se présenta à son tour… même si il était suffisamment connu. Il joua donc la carte du mensonge. Il sentait que cet homme était un beau parleur, aussi entra-t-il dans son jeu. Absinthe prétendait ne pas savoir qui il était, alors il ferait comme si il était une personne plus ou moins anodine. Enfin, anodine… Un Syney ne peut être anodin.

- Enchanté Absinthe. Mon nom est Samaël et, vous l’avez dit il y a un instant, chasseur de prime comme vous.

Il n’avait pas cherché à cacher son nom. A quoi cela aurait-il servi ? N’importe qui ou presque aurait été capable de le dire. Si il voulait instaurer une certaine relation de confiance et obtenir plus d’informations, le fait de mentir sur son nom n’était pas recommandé, en particulier lorsque les trois quarts de la population étaient en mesure d’énoncer le vrai. Suite à cela, Samaël chercha pendant quelques secondes les mots justes et suffisamment percutants pour ce qu’il désirait. Car il avait une idée. Une excellente idée qui lui plaisait, et ce malgré les risques qu’il prenait. Mais c’était exactement pour ces risques qu’il trouvait cette idée bonne.

- Nous recherchons visiblement la même personne, annonça-t-il finalement. Vous me semblez avoir de bonnes sources et -je ne vous le cacherai pas- en dépit de mon échec dans cette ville, j’ai des relations qui peuvent se montrer utiles lorsque c’est le moment.

Il se tut quelques secondes, suffisamment pour qu’Absinthe puisse réfléchir et comprendre peut-être ce qu’il demandait implicitement, mais pas assez longtemps pour lui laisser le temps de répondre. Lorsqu’il reprit la parole, il lui annonça clairement son intention.

- J’ai pour habitude d’effectuer mes missions en solitaire, et quelque chose me dit que cela doit également être votre cas. Mais que diriez-vous de nous allier le temps de retrouver cette gardienne ? Je crois sincèrement que cela pourra nous être bénéfique. Néanmoins, en cas de refus, je le comprendrais et n’insisterais pas.

Il n’insisterait pas, oui… Malgré tout, il serait très déçu. Cet homme était une mine d’or pour ses informations, et il pressentait qu’Absinthe aimait le risque. De plus, si comme il le pensait, il savait en fait qui était en face de lui, il ne devrait en théorie pas refuser une telle offre. Mais bon, on ne sait jamais… Samaël attendit la réponse avec, il se devait de l’avouer, une certaine impatience toujours aussi remarquablement dissimulée.

Allons, allons ! Il n'y a rien d'étrange à arborer une bouille d'imbécile face au bras droit de son pire ennemi. Non, non, aucune bizarrerie là dedans. Vous préfèreriez qu'il parte en courant ? Histoire de se faire cataloguer directement comme ennemi du roi, enfin du pseudo Roi. Bon vous voyez son attitude se tient assez bien. Même si il faut l'avouer en général quand un type pas franchement de votre côté, faisant deux mètres, et étant un tueur sanguinaire, la fuite est l'option qui vient le plus vite à l'esprit ! Mais quand on s'appelle Absinthe, on a des neurones qui fonctionnent encore un peu et on réfléchit à une solution moins suspecte, et là, on tombe sur l'hypothèse : passer pour un type qui a un grain. Et souvent, les types qu'ont un grain de ce genre, on les tape pas ! Magique nan ? Ben nan, typiquement humain en fait. On en conclue donc qu'avoir la tête d'un fou, ne fait pas de la personne un fou. Comme on dit, l'habit ne fait pas le moine !

Bref tout ça pour dire que l'étrangeté qu'il dégageait était parfaitement voulue ! Quand on a l'air bizarre, on attire l'attention, on intrigue et au final on se laisse prendre au piège. Ce qu'il y a de bien avec cette méthode, c'est que seul Absinthe se risque à l'utiliser, et donc personne ne la connaît ! Pas mal hein pour un attardé ?

Et encore plus fort ! Faire sourire monsieur le lapin tueur ! Respect, pas vrai ? Il s'en congratula lui-même intérieurement. C'était bon pour lui, très bon même. Car quand on a le sourire de son ennemi, c'est un signe de savoir faire ! Haha ! S'il n'avait pas été bon espion, il aurait pu être bon humoriste. Dans un monde en paix, il ferait peut-être ça. Si un monde en paix peut exister sur cette terre damnée. Le rire serait tellement plus agréable à entendre que les cris. Mais si on choisissait sa vie, tout le monde serait riche, et heureux !

Redevenons sérieux, et retournons à notre lapin. Il semblait que le sérieux lui allait mieux. A Absinthe aussi d'ailleurs dans le cas présent. Il faisait juste comprendre qu'il n'était peut-être pas si idiot que cela. Un idiot chanceux, ou un faux idiot. Les deux hypothèses étaient plausibles. Et laisser planer ce doute était essentiel pour la sauvegarde de l'empoisonneur. Imaginez qu'on s'aperçoive qu'il pouvait tuer ou du moins grandement endommager le bras droit de Kyj par un simple verre d'alcool de son cru, nul doute que le dit bras droit le tue sur le champ. Et c'aurait été fort dommage puisqu'il cherchait la même personne. Et Absinthe n'aurait pu prévenir que la gardienne était menacée.

Le beau parleur (hé !xD )écouta les présentation faussement utiles. Il y répondit par un sourire. Il savait que sa pseudo ignorance était mise à jour, ça se sentait dans la voix de l'homme. Mais il jouait son jeu, ça devait vouloir dire qu'il ne soupçonnait pas tout. S'il avait soupçonnait qu'il était face à un type qui pouvait signaler sa position à tous ses ennemis… Il ne se serait peut-être pas présenté avec autant de courtoisie. Il l'aurait peut-être même tué avant de se présenter… Mais bon !

Mais ce qui étonna l'espion, c'est que l'homme ne parte pas. Etait-il tombé sous son charme naturel ? Hum, Absinthe avec quelques doutes ! Nan, il y avait un truc pour que l'homme reste planté devant lui sans rien dire. Ah maintenant il parle… Ben oui, il y avait bien quelque chose. Exposition de atouts. Venez, venez il est beau mon lapinou, pas cher, pas cher ! C'était un peu sur ce principe que le Syney parlait. L'herboriste se crut un instant face à un commerçant essayant de lui vendre une lampe incassable déjà cassée.

Absinthe fronça légèrement les yeux, l'air de celui qui attend la suite sans comprendre. Bon il avait très bien compris, mais quand on joue l'imbécile, on le joue jusqu'au bout ! Il remua le nez, signe d'une grande réflexion, l'air totalement embrumé. Mais la lumière vint avec la suite des paroles, et son visage s'éclaira de la lumière divine ! Alléluia ! Mais après l'éclaircie, retour des nuage, avec une mine obscurcie.

"Effectivement, faire une collaboration pourrait être bénéfique pour les deux parties." Dit-il d'une voix neutre.

Il sortit sa bouteille d'alcool modifié de son sac, il en restait un fond. Il vida ce qu'il rester d'un trait. L'alcool aide à prendre des décisions illogiques. Et ça fait encore plus passer pour un idiot.

"Mais le problème, c'est que je ne connais rien de vous, vous ne connaissez rien de moi. Nous pourrions être ennemis sans le savoir. Dans ce cas partager des informations ne serait-il pas dangereux pour les deux personnes ?"ajouta-t-il avec un fin sourire loin d'être idiot.

Il inclina la tête, l'air de réfléchir. Il resta ainsi quelques secondes… Puis releva la tête.

"Marché conclu ! Je vous dis tout, vous me dites tout. Et on se protège mutuellement jusqu'à ce qu'on trouve la gardienne. Une fois qu'elle est trouvée, plus rien ne nous lie. "déclara-t-il avec un charmant sourire.

Ce marché était tout à son avantage finalement. Il regarda l'hybride. Et le prit par le bras. S'ils étaient partis pour rester quelques temps ensembles, l'hybride devrait s'habituer à ses manies d'imbéciles.

"Allez, ne perdons pas de temps, il vaut mieux commencer à traverser le désert maintenant, c'est mieux la nuit que le jour ! Si vous êtes fatigué, je vous fournie les plantes qu'il faut pour vous donner l'impression d'avoir dormir comme un bébé !" dit-il en le tirant à sa suite.

Et oui, quand on s'appelle Absinthe, on a peur de rien ! Ou presque.

Samaël ne savait pas trop quoi penser de son interlocuteur. C’était un bon comédien, ça, c’était sûr et certain. Mais malgré ça, il se demandait si Absinthe n’avait pas malgré tout une araignée au plafond. Car pour jouer si bien le rôle du parfait idiot, on doit l’être un peu sur les bords. Vraiment allumé ce type… Mais qu’importe, tant qu’il pouvait l’aider dans sa tâche.

En tout cas, le Syney classa le « médecin chasseur de prime » dans le rang des ennemis jusqu’à preuve du contraire. Car s’ils étaient dans le même camp, le jeune humain ne s’amuserait à jouer l’imbécile heureux en prétendant ne pas connaître son interlocuteur. Même si cela ne lui plaisait pas forcément, Samaël était suffisamment connu ici et là pour qu’on puisse le reconnaître aisément. Cela lui avait posé quelques soucis, puisque des partisans de la Reine avaient déjà essayé de l’assassiner. Mais bon, il s’en était débarrassé… Enfin bref. Tout ça pour dire qu’Absinthe n’avait aucune raison de se comporter ainsi s’il n’avait pas quelque chose à cacher.

Le bras droit du Roi écouta attentivement son vis-à-vis lorsque celui-ci se décida à prendre la parole. Il reconnaissait le bénéfice que sa proposition pouvait donner. Bon, au moins, cela prouvait qu’il n’était pas assez stupide pour fuir et dénoncer une telle offre. C’était toujours ça d’acquis. Les bras toujours croisés, il observa le soi disant chasseur de prime sortir une bouteille, sans doute d’alcool vu l’odeur qu’elle dégageait. C’était peut-être ça qu’il sentait depuis tout à l’heure… Mais bon. Il se contenta de hausser un sourcil devant ce geste, d’autant qu’Absinthe la vida d’un trait.

Super, après « totalement allumé » et « malgré tout très intelligent », Samaël ajouta « alcoolo » pour qualifier l’énergumène. On ne vide pas une bouteille sans y être habitué. Ca promettait…

Absinthe souleva ensuite un sujet épineux, étonnamment lucide après la bouteille qu’il venait de siffler. En effet, rien ne prouvait qu’ils ne fussent pas ennemis. Et bien que Samaël soit certain que c’était le cas, il se contenta de hausser les épaules. Si cela posait un problème à Absinthe, tant pis pour lui. Le Syney par contre s’en fichait royalement. Ils étaient ennemis ? Et alors ? Ils avaient, en cet instant, un but commun, à savoir retrouver la Gardienne du Temple de Kilmar. Si besoin était, ils régleraient plus tard les… détails.

Malgré tout, Samaël conserva le silence jusqu’à ce qu’il entende clairement la réponse d’Absinthe. Et finalement, celle-ci tomba. Il hocha légèrement la tête en signe de consentement des conditions du marché. Il adorait particulièrement le « plus rien ne nous lie ». En gros, le jeune homme prévoyait déjà de faire quelque chose pour l’écarter, disons définitivement. Une nouvelle confirmation comme quoi ils étaient ennemis.

- Cela me va, annonça simplement Samaël. Vous me voyez ravi de notre collaboration.

Avant qu’il ne puisse vraiment comprendre la situation, l’hybride se retrouva avec un humain lui prenant le bras pour le faire avancer et lui disant qu’ils devaient se dépêcher. Non mais et puis quoi encore ? D’accord, ils étaient maintenant « alliés », mais fallait pas pousser non plus ! Samaël stoppa net, et, d’un geste vif et quelque peu brutal, il retira son bras de l’étau humain, lui lançant un regard qui signifiait en gros qu’il n’avait pas intérêt à recommencer. Mais il regretta presque aussitôt ce regard. Leur alliance commençait bien !

- Excusez ma réaction. Je ne suis pas habitué à ce genre de familiarité, surtout provenant d’un parfait inconnu, dit-il en appuyant sur le mot « inconnu ».

Suite à ses excuses, Samaël reprit la marche, encourageant Absinthe à faire de même avant de reprendre la parole.

- Je suis d’accord avec vous, il faut nous dépêcher de traverser le désert. Mais dans quelle direction ? Le temple de la gardienne ne me paraît pas judicieux puisque, d’après vos informations, elle n’y est plus. Dans ce cas, où aller ? Si vous avez une idée, je vous suis. Dans le cas contraire, je vous propose la ville de Ghuy ou de Trya.

Il se tut, attendant la réponse de son « co-équipier ». Mais il se souvint subitement qu’il ne pouvait partir maintenant. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il se sentait trop léger. Pour les ballades en ville, il évitait de prendre son arme, qu’il laissait à la caserne des soldats, sa résidence secondaire pour sa mission à Kilmar. Il ne pouvait pas quitter la ville en laissant son épée.

- Avant de partir, il faut que j’aille chercher quelques unes de mes affaires. Attendez-moi là, je n’en n’ai pas pour longtemps.

Effectivement, la caserne se situait à moins de 500 mètres de l’endroit où ils étaient. Bon, il serait peut-être légèrement plus long que prévu, puisqu’il comptait avertir un des généraux présents de ce qui venait de se passer (et lui ordonnerait donc de faire passer le message comme quoi il ne voulait pas être dérangé par d’importuns soldats durant son voyage), mais aussi lui dire ce qu’il avait appris. C’était certes maigre, mais au moins avait-il avancé.

Sans attendre une quelconque réponse d’Absinthe, Samaël fit volte-face. Ses grandes pattes lui permirent d’avancer rapidement. Oui, il serait vite de retour… sauf incident imprévu.

Mais nan, il n'avait pas d'araignée qu plafond. Sauf l'araignée peut s'appeler intelligence ou machiavélisme. Et puis, une araignée, ce n'est pas joli ! On dira plutôt qu'il avait un papillon dans le bocal, c'est plus poétique pour un herboriste ! Et puis ça le caractérise plus, un papillon, c'est virevoltant, à l'air fragile, instable. Tout lui quoi. Alors plus question d'araignée. Tout de même un peu de réalisme.

Quelque chose à cacher Absinthe ? Hum, oui c'est vrai. Il cachait sa furieuse envie d'appeler ce cher Syney Lapinou. Il lui cachait aussi sa terrible réputation de libertin. Il lui cachait aussi qu'il était imbattable aux jeux à boire. Il lui cachait l'arme de destruction qu'il avait dans son sac, j'ai nommé un vaste échantillon d'herbes. Il lui cachait aussi son nom. Il lui cachait son véritable métier. Il lui cachait ses facultés. Il… La liste est encore longue, alors abrégeons. Finalement, il n'avait rien dit au Syney. Quoique rien que son prénom Absinthe, aurait fait tilt à plus d'un. Mais là, ce n'était apparemment pas le cas. Donc en gros il cachait tout, everything ! C'est vrai que c'est plus facile de passer incognito pour un humain bizarre que pour un lapinou-boy !

Bref, la collaboration était fixée. Drôle de collaboration. Il est rare de voir des ennemis faire équipe. Surtout de tels ennemis ! Prenez deux opposés, mettez les à côté et vous aurez la différence entre Absinthe et Samaël. Rien qu'au niveau de la taille, c'était drôle à voir ! Il était donc évident qu'Absinthe prenne des précautions dans la formulation, notamment avec la clarification de leurs liens éphémères. Il ne défendrait pas plus qu'il ne le faudrait le bras droit de Kyj. Il en irait sans doute de même pour Monsieur Lapin quand il aura trouvé qui il était réellement. Donc bon, ce serait donnant-donnant.

Mais à peine Absinthe eut-il montré une marque d'affection, digne de tout homme ivre, que lapinou-boy se fâcha ! On retire pas son bras avec une telle violence ! Ça peut faire tomber quelqu'un ! Voyons Lapinou, ce ne sont pas des manières ! Inconnu ! Inconnu ! Bien sur que non !

"Ecoute, ce n'est pas de ma faute si ma noble réputation n'a point atteint vos oreilles, je ne suis pas un inconnu pour beaucoup de monde… Et excusez ma familiarité, mais si on doit passer des mois ensemble, dites vous qu'il faudra s'y habituer, parce que si j'arrête de faire le gai luron, c'est mauvais signe. "dit-il un brin bougon.

Refuser ses faveurs, c'est puni par la loi, enfin par SA loi –ce qui est bien différent-. Il le suivit en traînant les pieds. Boudeur Absinthe ? Pas en temps normal. Mais là, il avait envie d'exaspérer le bras droit de Kyj qui ne pouvait guère se passer de lui. C'est tellement jouissif d'embêter sans risque son –presque- pire ennemi.

"Trya. Quartier des informateurs. Bien plus utile que fouinez n'importe où. Vous êtes un bien piètre chasseur de prime pour hésiter entre les deux."dit-il avec un sourire entendu, entendu qu'il voulait lui faire comprendre qu'il savait bien plus de choses sur lui que ce qu'il faisait croire.

Et voilà qu'il se tire. Pff con de lapin. Absinthe laissa son honorable fessier se poser par terre, s'appuyant contre un mur, tel un clochard aguerri. Bon, autant rentabiliser le temps. Il sortit quelques herbes de son sac et deux petites bouteilles, il y mis de l'eau –et oui la Providence avait mis un tonneau à côté de lui-, puis quelques herbes. Rien de bien méchant. De quoi le revigorer comme une très bonne nuit de sommeil. Les seuls effets secondaires que cela pouvait avoir était… un certaine euphorie. Rien de grave donc. Il fit son petit mélange tranquillement, secouant les bouteilles comme il le fallait. Ça lui remit en tête un air qu'il avait entendu dans un bar, alors il le chantonna. Et aussi étonnant que cela puisse paraître, il chantait terriblement bien. Un air passablement triste, qui lui rendit son vrai visage : glacé, triste, terriblement seul. C'était bizarre après l'avoir vu si imbécile.

Il fouilla dans son sac un instant et en sorti une racine. Rien de plus dégeulasse, mais rien de plus nourrissant. Il continuait de fredonner cet air triste. Réfléchissant. A ce qu'il allait faire, à ce qu'il avait déjà fait, à son futur assassinat, à ses assassinats passés, à Arsenic, au visage de sa mère qui s'effaçait toujours un peu plus de sa mémoire. Il soupira, remettant la racine dans son sac. Il n'arrivait plus à rien avaler depuis une semaine. Ce pouvait être le début de la fin. Un poison qu'il n'aurait peut-être pas supporter. Mais c'etait une hypothèse qu'il rejetait en bloc. Non, il était peut-être juste malade. Vu ce qu'il faisait à son corps, ce n'était pas étonnant.

"Qu'est-ce qu'il fiche lapinou-boy…"lâcha-t-il d'une voix à peine audible.

Il appuya son coude sur son genou, sa main posé dans ses cheveux. Il était fatigué de tout ça. De cette guerre. Mais une fois le pied dedans, on n'en ressort pas.

Samaël avait marché d’un bon pas jusqu’à la caserne. Ses grandes pattes lui permettaient de faire foulée digne d’un humain qui courait. Sauf que lui, il se contentait de marcher. Bref. Tout ça pour dire qu’il entra dans la caserne en un temps record. Il se dirigea tout naturellement vers ses appartements et réunis quelques affaires qui pourraient lui être utile. C'est-à-dire principalement de l’eau et des provisions. Et contrairement à ce que certains pourraient croire, non, Samaël ne grignote pas que des céréales ou de l’herbe comme tout lapin qui se respecte. A vrai dire, son régime alimentaire était surtout tourné autour des viandes. Vous croyez sérieusement que Kyj accepterait que son bras droit reste un herbivore tout mignon ? Vous vous mettez le doigt dans l’œil. Ca fait belle lurette que Samaël a quitté la famille des proies composée par ces rongeurs.

Il prit aussi un peu d’argent. On ne sait jamais, ça peut être utile même si on est connu comme étant un fidèle de Kyj. Il rassembla les quelques affaires dans un sac de toile noire, qu’il garda à la main. Ce n’est pas pour dire, mais les ailes ne sont pas franchement pratiques pour porter des sacs. Il se saisit ensuite de son arme, Ankou, qu’il attacha autour de sa taille, les trois crânes de ses frères et sœur toujours pendus à l’étui sombre du katana. Bien que cela soit un peu effrayant quand on connaissait son histoire, Samaël considérait ça juste comme un plus décoratif, et non comme un moyen d’impressionner. Il avait toujours attaché ces ossements à quelque chose, et dès qu’il avait reçu Ankou, il les avait mis à son fourreau. Mais c’était sans arrières pensées. Enfin bref.

Le Syney se rendit ensuite au bureau d’un général, où il présenta ses intentions. Aussi, il insista bien sur le fait que si jamais un soldat venait l’ennuyer, où qu’ils soient, il le tuerait. Il espérait bien que cela encourage le général à faire passer l’information et qu’ainsi, Absinthe et lui puissent progresser sans encombres. Et puis, ça l’ennuierait vraiment que son « partenaire » soit blessé, voire tué. Samaël apprit aussi qu’il serait accompagné et que donc, la personne avec lui ne devait pas être touché. Sinon il faisait un malheur. Et quand le bras droit du Roi vous dit qu’il risque de faire malheur, on prend en note ses exigences, quelles qu’elles soient. Satisfait, le Syney quitta la caserne, sac en main et arme à la taille.

Il se pressa de revenir, car ce satané général n’avait pas arrêté de lui poser des questions concernant son « compagnon », craignant sans doute quelque chose. Il avait peut-être raison de se dire que c’était sans doute un partisan de la Reine, Samaël n’en n’avait rien à faire. Sa mission était de trouver cette gardienne, peu importe les moyens. A propos de gardienne, il s’était bien gardé de dire ce qu’il savait finalement. Il ne voulait pas voir un changement dans l’annonce alors qu’il venait tout juste d’apprendre quelque chose. Il le dirait plus tard.

Sur le chemin, il repensa aux dernières paroles d’Absinthe. Effectivement, Trya et son quartier aux informations étaient le graal des chasseurs de primes. Grâce à ça, le jeune homme avait sous-entendu qu’il était meilleur chasseur que le Syney. Bah, qu’il pense ce qu’il veut ! Samaël avait ses raisons de vouloir aller à Ghuy. Et puis, si cela pouvait pousser Absinthe à en dire un peu plus, tant mieux ! Mais Samaël n’était pas idiot au point d’espérer que le soit disant médecin allait lui dire quoique ce soit comme ça, juste parce qu’il pensait avoir affaire à un piètre chasseur.

Un chant triste fini par atteindre ses oreilles. Il réussit à reconnaître la voix de son « allié », et cela l’étonna. Non pas qu’il croyait Absinthe incapable de chanter, c’est surtout qu’il ne s’y attendait pas. Même s’il savait où il allait, Samaël se laissa plus guider par cette mélopée pour rejoindre le jeune homme. Lorsqu’il put l’avoir dans son champ de vision, l’expression qu’arborait Absinthe contrastait totalement avec celle qu’il avait pu avoir jusque là. Le Syney arrêta de chercher des preuves de comédies. Là, c’était clair et net. Il avait intérêt à faire attention pour plus tard.

Il le vit descendre une nouvelle bouteille (bien qu’il soit arrivé juste après sa préparation), et cela lui fit lever les yeux au ciel. Il n’y avait plus qu’à espérer qu’Absinthe ne le tente pas de boire. Déjà, il n’aimait pas ça, et il pourrait cette fois classer le jeune homme dans le camp des empoisonneurs. Les plus vicieux et les plus perfides. Alléluia…

Le chant s’arrêta, mais concentré sur la voix de son partenaire, il réussit à l’entendre murmurer quelque chose en dépit du brouhaha incessant de la ville. Et bien qu’il ne put discerner correctement les mots, il capta l’essentiel. Lapinou-boy ?? Ha ! Encore un qui trouvait ses origines grotesques. Samaël haussa les épaules. Il avait l’habitude depuis le temps que les commérages de couloirs le traitaient de façon similaire.

Le Syney finit par reprendre sa marche pour se planter devant Absinthe.

- Désolé pour l’attente. Nous partons quand vous voulez pour Trya.

Absinthe s'arrêta de chanter. Pas qu'il ait entendu le Syney revenir. Non, juste qu'il n'avait plus envie. Il était loin. Très loin de tout. Il nageait dans le brouillard que l'alcool et les herbes vous donne parfois, cette grâce, cette volupté qui obsède bien souvent après qu'on l'ait une fois goûtée. Mais ce n'était plus le cas de l'empoisonneur. Il n'avait que trop ressenti ce flottement durant son apprentissage. A chaque fois qu'il avait frôlé la mort en fait. Peut-être la frôlait-il encore depuis quelques jours. C'était un comble quand même, un guérisseur qui ne peut se soigner. Tout parait toujours plus simple chez les autres.

L'herboriste ne releva la tête que quand il entendit la voix de son équipier. Elle résonna quatre fois dans sa tête. Il n'en manqua pas une miette, ça non. Il fronça les sourcils. Il avait une voix forte pour un lapin. Il se massa les tempes. Ils pouvaient partir. Oui, tout de suite.

"Oui, alors nous allons partir."dit-il d'une voix lointaine.

Il ne s'était quand même pas trompé dans sa préparation pour être dans un tel état. Non, bien sûr que non, ce remède, il aurait pu le faire en dormant. Non, c'était autre chose qui le minait. Rah quelle plaie d'être humain ! On est vraiment trop faible. Il se leva. Quelque peu péniblement, s'appuyant sur le mur derrière lui.

"Je sais, non, ce n'est pas l'alcool qui m'a mis dans cet état. Oui, je devrai quand même arrêter l'alcool. Oui, nous pouvons y aller."dit-il parant à tout les questions qu'on pouvait lui poser.

Mais avant de partir, il remplit une outre d'eau qu'il mit ensuite dans son sac, et sortit par la même occasion, la fiole préparé pour Samaël. Il la lui tendit nonchalamment.

"Non, ce n'est pas du poison. C'est une préparation énergisante, à base de café, de thé et d'autres plantes aux vertus réparatrices que vous ne connaîtriez pas. Vous pouvez le boire, ça évitera la fatigue pour le jour à venir."déclara-t-il en la mettant carrément dans ses mains.

Il inspira un grand coup. Diantre, ce qu'il avait mal. Mais comparé à ce qu'il montrait, on aurait pu croire qu'il avait juste un petit mal de tête. En réalité, il avait l'impression que son corps allait exploser, et pourtant, il en avait subi des douleurs, mais de comme ça, jamais. Il releva la tête. Ne rien montrer. N'avoir que l'aspect qu'un type qui a trop bu et qui ne le supporte pas, rien de plus. Il afficha un petit sourire et commença à marcher.

"Allez, avec de la chance, on évitera une tempête de sable !"dit-il en commençant à avancer.

Sa tête allait exploser, c'était une certitude. Sa poitrine aussi. Chaque respiration se résumait à des dizaines d'aiguilles le transperçant. Il fit cinq pas. Et s'écroula au sol. Non ! Non ! Et non ! Il ne pouvait pas perdre la face devant un ennemi ! Non ! Ce n'était pas possible ! Pourtant… Il avait du mal à respirer, il tremblait comme une feuille. Une grosse fièvre ? Une fièvre aggravée ? Peut-être. Sans doute même. Il pesta. Comment avait-il pu tomber malade ? Une surexposition au soleil sans doute. Sa traversée de désert à dos de dragon qui ne lui avait pas réussi sans doute.

"Finalement, je crois que faire équipe avec moi, c'était une mauvaise idée." Dit-il avec une pointe d'ironie. "Si vous voulez partir sans moi, vous pouvez."

Il était sérieux en disant cela. Vu son état, il lui faudrait une bonne nuit de repos, voire la journée suivante. Et dans ce genre de mission, chaque seconde est précieuse. Bon sang, il allait perdre une bonne touche à cause d'une insolation ! Il n'y croyait pas.

(Note : une insolation, c'est aussi soudain, j'en témoigne ! Et ça fout à plat … )

[Pardon pour le retard]

Lorsque Samaël observa plus attentivement son allié après lui avoir annoncé qu’ils pouvaient partir, le Syney remarqua qu’Absinthe ne semblait pas en très grande forme. Mais il se dit que ce n’était sûrement pas grave, sans doute un effet secondaire de la bouteille que le jeune homme venait de descendre et qu’il était peut-être temps pour lui d’arrêter. Mais contre toute attente, Absinthe sembla prédire ses intentions et répondit avant même que Samaël n’ouvre la bouche. Celui-ci haussa les épaules.

- Si vous le dîtes, lâcha-t-il.

Le Syney fit mine de faire un pas en avant, direction la sortie de la ville, mais il s’arrêta net avant d’observer Absinthe remplir une outre d’eau qu’il mit dans son sac. Et il en sortit une fiole qu’il tendit au bras droit du Roi… Samaël hésita à la prendre. Il se doutait d’un piège, mais en même temps, s’il voulait instaurer au plus vite un minimum de confiance entre eux (du moins, quelque chose de suffisant pour qu’ils n’aient pas envie de se jeter l’un sur l’autre au moindre contretemps) il devait la prendre. Mais il n’eut pas à se poser de questions plus longtemps, le jeune homme lui mettant carrément la fiole dans la main après lui avoir exposé la composition de ce breuvage.

Rien de bien dangereux, si c’était effectivement ça qu’il y avait dedans. Sauf que Samaël n’était pas convaincu. On avait déjà essayé de l’empoisonner une fois, et il ne tenait pas spécialement à renouveler l’expérience. Les douleurs que cela avait engendrées n’étaient pas du tout recommandables, surtout qu’il avait échappé de peu à la mort. Heureusement pour lui, on avait réussi à retrouver le coupable et à lui faire avouer le remède. Sauf que là, si c’était du poison, le seul qui pourrait le sauver était Absinthe… Méfiance et prudence sont mères de sûreté.

Le Syney observa un instant le flacon, perplexe, et profita du fait que son co-équipier soit plus concentré par ce qu’il y avait devant lui pour ranger la fiole dans son sac. Il verrait plus tard s’il avalerait ça ou si cela irait abreuver les dunes… Reportant son attention sur Absinthe, il remarqua que celui-ci n’était décidément pas en grande forme. C’était même tout le contraire. D’après la tête qu’il affichait, Samaël se dit que c’était sûrement l’alcool, mais connaissant les talents de comédien du jeune homme, il ne parierait pas là-dessus.

Pensant (à raison) qu’il ne saurait pas ce dont était atteint son partenaire, il lui emboîta le pas… pour le voir s’écrouler au sol. Samaël haussa les sourcils. Allons bon, qu’est-ce qui lui arrivait maintenant ? Faisant disparaître d’un regard noir les curieux qui s’intéressaient d’un peu trop près à ce qui venait de se passer, le Syney alla s’accroupir aux côtés d’Absinthe et l’observa, essayant de voir ce qu’il avait. Il tremblait et avait du mal à respirer. De même, la rougeur de sa peau indiquait une température anormalement élevée.

Le Syney écouta Absinthe lui dire qu’il pouvait partir s’il le voulait. Car effectivement, il n’avait pas vraiment de temps à perdre. Le laisser là et continuer était tentant. Sauf qu’ils étaient équipiers. Et pour le bras droit de Kyj, cela voulait dire quelque chose et impliquait certaines choses.

Samaël prit le bras du jeune homme et le passa autour de son cou pour le porter. Il attrapa également le sac d’Absinthe et se mit à traverser quelques rues, décidé à emmener le jeune homme à l’abri. Il ne pouvait l’emmener à la caserne, ce serait trop dangereux. Il fut un instant tenté d’appeler immédiatement un autre médecin, seulement il se doutait que cela pouvait blesser Absinthe dans son orgueil, et les rares médecins de Kilmar étaient à la solde du Roi. Donc potentiellement gênants aussi. Au pire, si vraiment le jeune homme voulait voir quelqu’un, il irait le chercher, mais une fois l’humain dans une pièce fraîche et à l’ombre.

Heureusement, Samaël connaissait bien un soldat plutôt fortuné qui avait une résidence secondaire à Kilmar. Bien qu’assez modeste, la maison serait amplement suffisante en attendant qu’Absinthe aille mieux. Il s’y dirigea donc, aidant le jeune homme à marcher. Le surplus de poids ne dérangeait absolument pas le Syney, qui avançait d’un bon pas, privilégiant les accès ombragés. Et rapidement, se fiant aux indications qu’il avait reçues il y a quelques temps, il finit par atteindre l’endroit recherché.

La porte d’entrée était dans une ruelle peu fréquentée, aussi, lorsque Samaël s’aperçut qu’elle était fermée, il ne se gêna pas pour la défoncer d’un coup de patte. Il la réparerait plus tard… Pénétrant dans la demeure, il constata avec délice que les pièces, en plus d’être plongées dans une semi obscurité, étaient plutôt fraîche, contrastant avec l’étouffante chaleur de l’extérieur. Le mobilier utilisé était local, rustique, mais donnant une certaine sensation de richesse et de bon goût. La maison n’avait qu’un rez-de-chaussée, et environ quatre pièces seulement la composaient.

Le Syney, se mit en quête d’une chambre, et il en trouva une au bout du couloir. L’architecte avait pensé à mettre ce lieu dans un endroit assez frais. Il déposa le jeune homme souffrant sur un lit, et il ne se gêna pas pour ensuite ouvrir le bagage de son équipier et en sortir l’outre d’eau, qu’il tendit à Absinthe.

- Je ne suis pas un spécialiste des maux que peuvent attraper les personnes de votre espèce, mais vous avez l’air d’être en proie à une insolation. Dîtes moi si je me trompe. Mais j’en doute, aussi il me semble que la meilleure chose à faire est d’hydrater le corps. Buvez et reposez-vous. Nous resterons ici en attendant que vous soyez de nouveau sur pieds.

Sur ces mots, Samaël quitta la pièce, préparant la maison à accueillir ses deux occupants provisoires. Et puis, il fallait qu’il fasse venir quelqu’un pour réparer la porte…